Tant que j’en aurai la force, j’irai cueillir des arcs en ciel, dans le hors champ, comme autant d’incursions dans le temps qui n’aurait pas connu de commencement. C’est ainsi que j’aime me faire remarquer et vivre de mon écriture en me confrontant à l’immensité d’un ciel dont je ne peux concevoir les frontières. Je regarderai notre galaxie en évitant de me faire aspirer par un de ces trous noirs, ces cortex intemporels en embuscade. Je lèverai les yeux pour découvrir si des nuages encombrent ou agrémentent notre atmosphère. Chaque cumulus y aura dessiné un souvenir d’enfance à décoder avec tendresse. D’aucuns auront à cœur de vouloir les dissiper comme autant d’ombres instables ou néfastes, gestes subis, incompréhension répétée, manque flagrant d’amour et ou d’attention. D’autres refuseront toute incursion tempêtueuse dans leur imaginaire, argumentant qu’aujourd’hui ils sont grands. Comme si la raison pouvait réguler ce qui ne s’explique pas. Pour certains, le ciel serait habité d’anges bienveillants, de bons dieux barbus ou d’anciens vivants dont l’esprit ou l’âme nous protègerait. Pour ma part, le ciel s’est donné en spectacle trop souvent pour rester crédible ou me rendre crédule. J’y vois cependant une immense réserve d’humanité en mots non prononcés, encore vierges, disponibles pour innover ou réinventer le vocabulaire de mes états d’âme. Demain, j’irai extirper mes ires orageuses de la voute céleste, je hurlerai mes pires injures sous ses tempêtes, tout en dégustant des friandises d’enfance sous les éclairs au chocolat. Après demain, je remettrai des culottes courtes et des chaussettes ajustées en haut du mollet, pour me souvenir du goût des gouttelettes de pluie, les soirs d’orage. J’irai titiller mes peurs dans la forêt ancestrale, chapeautée d’hêtres géants, je hurlerai au loup et à la lune sous leurs branches. Des étoiles brilleront pour me réconforter et me donner l’audace de migrer à nouveau sous les craquements de ces titans longilignes que le vent tentera en vain de déraciner. Alors, détendu et confiant, j’encerclerai, à nouveau, sans témoins, de mes mains redevenues menottes, l’arbre gravé de mes initiales, en lui demandant protection contre les démons de tous poils, les elfes malveillants, les monstres hideux de mes cauchemars. Ensuite, je réclamerai aux astres une pluie de récompenses filantes pour l’être exceptionnel qu’enfant j’étais presque certain de devenir.
Aujourd’hui, hélas, mes seules transhumances sont devenues banalement estivales. Imaginer qu’un jour, je n’aurais d’autre choix que de m’en aller et de tout quitter s’apparentait, jusqu’à il y a peu, à l’impensable. Une peur innée de sédentaire faisait émerger systématiquement ma résistance au changement radical. Comme si mon destin devait s’arrêter au coin de ma rue de naissance. Bien sûr, J’éprouve de l’empathie et de la compassion pour ceux qui sont contraints au départ. De l’admiration aussi, pour leur force de réussir à quitter ce qu’ils connaissent ou ceux qui les aiment pour tenter leur chance dans des embarcations de fortune vers nos pays que j’aurais tendance à qualifier de paradis illusoires ou d‘eldorado fabulés. Comme eux, je me vois mal laisser mes enfants mourir de faim sans réagir et encore moins les laisser à la merci de tortionnaires, de violeurs ou de tueurs. Dans ces cas-là, partir ailleurs est la seule issue. Peu importe « l’ailleurs » car il ne peut être que meilleur. Aurais-je la même motivation si j’avais uniquement à me positionner pour une vie décente ou une éducation de qualité pour mes enfants avant de choisir de lever le camp ou de rester ?
Sans prévenir, la guerre est arrivée à nos portes, nous rappelant la fragilité de cette paix qui semblait acquise. Une famille Ukrainienne nous a rejoints. Comme nous, ils ont travaillé pendant plus de quarante ans pour se mettre à l’abri, construire une maison, soutenir leurs enfants, voyager, se cultiver, se distraire et profiter de la vie. Mais, du jour au lendemain, leur histoire s’est effondrée comme un château de cartes. Leur maison sans doute détruite, leurs enfants et petits-enfants dispersés., leurs pensions non versées, ils se retrouvent à la rue, à la merci de notre solidarité. Chaque jour, ils essayent de nous remercier et s’efforcent de rire et de sourire en notre compagnie. Mais leur âme et leur cœur sont restés brisés sous les décombres de leur maison, leur village, leur région. Privés de tout, ils sont devenus quémandeurs forcés et leur beauté dans l’humilité s’en trouve renforcée. Pour nous, le fait de partager génère du sens, s’inscrit en faux face à notre sentiment d’impuissance, nous rend utiles, marqués et aimables. Héberger des sédentaires devenus nomades fait de nous de meilleures personnes. Nous avons de la chance d’être tombés sur de belles âmes qui s’inquiètent de nous être utiles et se plient en quatre pour aider. Leurs nuits sont envahies de cauchemars, de violence et de peurs que les images de leur pays, envahi et détruit, nourrissent. Leurs jours sont à la recherche d’occupations culturelles ou amicales qui feraient oublier quelque temps l’indicible récit de leur anéantissement. Comment pourrais-je y être insensible ? Ai-je encore le droit d’exprimer combien j’aurais aimé naître nomade, fier de ma liberté de mouvement ? Combien j’aurais voulu être né, fils du désert, pour me lever chaque matin, uniquement préoccupé de trouver de quoi me nourrir dans un environnement dont la beauté naturelle me rendrait serein ? Bien sûr, mon rêve exclut toute famine, dictature ou guerre inviables ou monstrueuses, trop souvent à l’origine des migrations forcées. A les évoquer, je ne ressens plus aucune envie d’être remarqué. Oubliez-moi ! Pour eux, entre se cacher ou fuir, il n’y a pas de mauvais choix. Pour moi, seul le regard bienveillant de mes proches me construit et me fait grandir. Si nous étions tous nomades, la tolérance serait peut-être la norme. Posséder, protéger ce qui est acquit, en vouloir toujours plus, est l’ambition avec laquelle j’ai été éduqué. Mes parents ont connu la guerre, la faim et le froid, reconstruire a été leur leitmotiv, leur fierté. Depuis, posséder sa maison est devenu, pour beaucoup, l’hymne national. Je n’y ai pas échappé, ma maison est mon havre, j’aime y inviter mes amis et en partager la table et les atouts. Savourer ce que la vie m’offre est une évidence que je reformule chaque matin en contemplant le paysage magnifique qui m’entoure. Serais-je heureux de la même façon sous une tente de bédouin en plein désert, ou dans une cabane en taule d’un quartier pauvre de l’Inde, sans commodités, sans avoir de quoi nourrir mes enfants ? Être heureux de ce que la vie offre au jour le jour est-il l’apanage de tous, la contrainte de ceux qui ont tout perdu ou un art propre à ceux qui choisissent d’oublier ou d’ignorer la misère des autres ? Comment fait-on pour vivre épanoui en schizophrène impuissant ? Nul n’est contraint de se contenter ou de se limiter à ce qu’il possède. Chercher à améliorer son quotidien, entreprendre, être créatif, sont des notions qui honorent les humains que nous sommes, alors qu’elles peuvent tout aussi bien les faire abuser du pouvoir que posséder engendre. Nos voisins Ukrainiens doivent se réinventer, à chaque instant, avec persévérance, dans un univers imposé qui s’est offert à eux par notre entremise. Ils sont contraints de renouveler leur mode de vie de fond en comble, de réinventer leurs codes et d’apprendre une nouvelle langue aux sons étranges issus de voyelles imprononçables. Pour nous tous, l’avenir a déjà changé d’odeurs, de couleurs de frayeurs. Rien ne sera plus comme avant et pourtant tout est déjà comme hier. Je nous trouve, eux et nous, remarquablement résistants, mutants, migrants de cœurs et marqués de tendresses. Alors, oui, tant que j’en aurai la force, j’irai cueillir des arcs en ciel.
Après une enfance heureuse, des humanités Latin Grec et cinq années en recherche graphique, Patrick Parmentier se lance comme entrepreneur tout en cultivant l’écriture et la musique.
A son actif, la création d’une compagnie de théâtre, et d’une roulotte spectacle. Mais aussi, la conception d’une gamme de produits de maquillages festifs dynamisés par une équipe se produisant dans les festivals d’Europe et du Canada. Il crée sa société d’évènements puis devient partenaire d’un groupe de communication, toujours actif, de cent cinquante collaborateurs. Cohabitant depuis plus de nombreuses années avec bonheur, il aime voyager avec sa partenaire, ses amis et ses enfants. Compositeur guitariste autodidacte, il est aussi écrivain. La « Trajectoire du Papillon », son cinquième roman, est sorti en novembre 2021. Citoyen humaniste, il est aussi administrateur d’associations dont il partage les valeurs et initiateur d’une école de couture au Sénégal.