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Steven Laureys : vivant, vie, conscience

(Entretien accordé à Gilbert Granjon)



Que vous inspire le vocable « vivant » ?

« vivant » : ce qui est contrasté avec ce qui est connu, dans notre univers, comme matériel sans capacité à s’adapter à son environnement ; le vivant, c’est l’adaptation permanente qui caractérise aussi bien les plantes que les animaux dont l’homme. Le mot clé, c’est changement/adaptation.


Avec quelle intention arrivez-vous à notre entretien, relativement à la notion « vivant » ?

Je vous fais confiance quant à vos questions. Je n’ai pas d’apriori pour notre discussion. Je suis disponible et convaincu que les points se clarifieront au fil de l’entretien.


En m’appuyant sur l’écoute de plusieurs de vos conférences ayant trait à la conscience ou à la méditation, je formule deux premières questions : comment décririez-vous « votre histoire » jusqu’à ce jour ? Qu’est-ce qui la rend singulièrement unique en « son vivant » ?

Je pense que, pour chacun, notre histoire est en même temps unique et universelle. En ce qui me concerne, c’est l’histoire d’une volonté d’étudier d’abord la médecine, ensuite la neurologie et ce, pour plusieurs raisons. Evidemment le choix de devenir soignant - c’est, je pense, le plus beau métier -, d’essayer d’aider l’autre et de s’adresser à un organe, le cerveau, qui est le moins bien connu ; il y avait aussi cette volonté de repousser les frontières de nos connaissances, de combiner le métier de clinicien à celui de chercheur et de s’adresser à la plus grande question, je pense, pour la science, comparable à l’origine de la matière et à l’origine de la vie, à savoir l’origine de la conscience et de vivre cette interaction entre les questions scientifiques et la traduction vers la clinique. C’est pour cela qu’après mes études à la VUB, je suis allé à Liège pour utiliser ces technologies de pointe que sont les scanners qui permettent de visualiser ce qui est invisible : pensées, perceptions et émotions et de le faire chez des personnes qui ont un cerveau blessé ; j’ai créé le Coma Science Group ; après, j’ai créé l’unité de recherche GIGA-consciousness qui s’intéresse à ces problématiques et plus largement aux effets de la narcose, de l’anesthésie, des psychédéliques et puis le laboratoire qui porte sur la méditation, pour lequel il est extraordinaire d’avoir une cinquantaine de brillants cerveaux qui vont s’attaquer à ce mystère qu’est notre propre univers intérieur ; notre ignorance est juste énorme ; personne ne peut expliquer la conscience humaine ou celle des autres animaux qui ont leur propre conscience. Et, donc, me voilà à 55 ans, après plus de 25 ans de vie professionnelle, toujours à essayer de repousser les frontières, avec le laboratoire en Belgique et le laboratoire que je monte ici au Canada. Entre-temps, cinq enfants extraordinaires. Et, comme pour tout le monde, je pense, ce défi de trouver un juste équilibre entre les mondes professionnel et personnel dans une société qui met parfois la barre trop haute, pour être un bon partenaire, un bon parent, dans mon cas, un bon professeur, un bon médecin ; et là, c’est à nouveau extraordinaire de pouvoir combiner ce choix d’être clinicien et chercheur dans un domaine qui appréhende le pouvoir de l’esprit. Ce qui est, personnellement, très enrichissant quand on étudie la méditation ; on ne va seulement regarder ce qui se passe dans le cerveau mais aussi le vivre soi-même. Je suis d’ailleurs tout juste de retour d’une retraite en silence de dix jours en Inde. Le fait aussi, comme médecin, d’être confronté à la fin de vie - je travaille aux soins intensifs en rééducation tous les jours - remet continuellement en question. Nous parlons du vivant qui est contrasté. Le vivant implique qu’il y a un début, qu’il y a une fin et je pense qu’on apprécie encore plus le fait d’être vivant quand on est, dans mon cas professionnel, confronté à la mort et ça nous impacte pour encore plus profiter de ces petites choses qui font la trajectoire de notre vie et où le défi c’est de vivre ensemble avec bienveillance et d’inviter chacun à développer de la gratitude pour ce cadeau qu’est la vie.


Je perçois bien qu’il a un entremêlé entre vos parcours professionnel et personnel. Deux remarques me viennent. En préparant notre entretien, j’ai pensé à la retraite vipassana que j’ai vécue il y a quelques années en Inde, je suppose que c’est la même retraite dont vous revenez. Et puis, en écoutant votre évocation du fait qu’être médecin c’est le plus beau métier du monde, en ce sens de prendre soin du corps, je me suis revu à Madagascar, à Fianarantsoa avec Monseigneur Zevaco, lui-même médecin de formation qui me disait avoir longuement hésité entre demeurer médecin du corps ou devenir médecin de l’âme en tant que prêtre. Mais, à vous écouter, il me semble que vous réunissez à votre manière, les deux aspects. La question que je vous partage alors : y-a-t-il un moment charnière, un tournant dans votre parcours personnel qui fait qu’aujourd’hui, vous êtes ce que vous êtes en ce sens de vouloir combiner la recherche et la clinique et le soin à autrui ?

Il m’est difficile de m’arrêter sur un seul tournant ; si je regarde derrière moi et que j’essaie de connecter les points, ce n’est pas une ligne droite, il y a plein de tournants ; il y a des moments où le chemin se passe simplement ; il y a des moments où on est devant des crevasses, où on est devant des pass hors catégorie et je pense que c’est ça la vie. Il y a une série d’évènements ; il y en a trop pour vraiment les réduire à un seul instant. C’est une série de choix ; choix du partenaire, choix d’avoir des enfants, choix d’entreprendre des études, d’accepter un job et il y a aussi plein de choses qui nous arrivent, qui n’étaient pas planifiées et qui ont un énorme impact. C’est ce mélange qui va être la caractéristique de chacune de nos vies. Oui, on peut essayer de planifier la vie, et tout se passe autrement. Je pense avoir appris que l’important c’est la prise de responsabilité ; prendre des décisions et s’adapter à ce qui nous arrive et saisir les opportunités. Donc, il y a plein de charnières dans ma trajectoire.


Vous parliez de frontières, vous parlez de charnières ; je ne résiste pas à l’idée de penser nos migrations chères à la Fondation Josefa. Pardon d’insister mais sauriez-vous, au fil de votre parcours, tant personnel que professionnel, identifier un fil rouge ?

La curiosité. Comme chercheur, il est important d’être curieux et de garder, comme un enfant, le sens de la découverte, du jeu et du désir d’explorer. J’essaie de garder ce sens de l’exploration, de le cultiver et de le faire avec un esprit ouvert sans dogmatisme, sans me tracasser de ce que pourrait penser autrui. Ce n’est pas évident d’étudier la conscience chez un patient dans le coma ou les expériences de mort imminente ou la méditation et l’hypnose. Donc la curiosité et, comment dire, le courage de continuer sur sa trajectoire. Et, j’espère, mais j’en suis vraiment loin, être exemplaire et faire mon travail avec bienveillance. C’est un défi car le monde académique est très dur. Dans les grandes institutions comme les hôpitaux universitaires, ça reste un défi de continuer à faire son travail avec bienveillance ; et, c’est aussi là où j’espère être inspirant. Comme dans la vie, c’est un défi d’assurer la transmission de valeurs, de faire des choix qui sont aussi bien pour soi que pour autrui. Et, là aussi, tout se rejoint ; pour nos études neurologiques, ça n’a pas de sens de continuer à dire qu’il n’y a que l’homme qui a une âme, une conscience et que les animaux seraient des automates avec des instincts, des réflexes et des réponses conditionnées. Ils ont leur conscience, leurs pensées, leurs perceptions. Il y a un lien entre ce qu’on étudie et ce qu’on est dans la vie.


En m’adressant à l’homme de « technologie » que vous êtes en tant que chercheur ou créateur de laboratoires, je vous demande si « conscience » et « vie » relèvent du « vivant » et comment articuler « homme », « machine » et « vivant ».  Vous avez parlé de « choix » ; dès lors, est-ce que « vivant » relève de l’être, d’un don ou est-ce une filiation, une génétique, partagée éventuellement jusque dans la technologie ? Pour reprendre un terme que vous avez utilisé, où sont les frontières à poser pour ne pas tout mélanger ? Autrement dit, comment une vie humaine peut participer d’un « vivant » qui lui échappe ou partiellement sous contrôle comme dans le champ de la recherche qui pose des dimensions a priori où le vivant n’apparait peut-être pas immédiatement ? Comment vous concilier ces différents éléments ?

Comme chercheur, on dépend de la technologie. Le télescope a permis à Galilée de développer ses théories à partir de ses observations ; maintenant, notre télescope c’est l’irm fonctionnel, le pet-scan, ces machines qui permettent d’aller mesurer notre univers intérieur ; nous sommes les enfants de notre temps. Avec notre équipe, ce que nous essayons de découvrir aujourd’hui, dans quelques générations, ce sera quasiment partagé en école maternelle. Cette réalité, il faut l’accepter. Dans notre équipe, nous utilisons les meilleures machines qui existent, non seulement pour faire des mesures mais aussi pour faire des analyses, avec des ordinateurs très puissants ; c’est le recours à l’intelligence artificielle qui reste complémentaire ; ce ne sont que des algorithmes. Et, dans notre société hautement technologique, il y a ce besoin de plus se reconnecter non seulement avec notre propre besoin émotionnel mais aussi avec la nature ; tout ce que les super ordinateurs, l’intelligence artificielle, les robots, la réalité individuelle ne font pas. Pensées, perceptions, émotions, valeurs éthiques, c’est là, je pense, qu’il faut investir plus et qu’on néglige encore trop. Je suis convaincu qu’avec la machine, dans notre connaissance actuelle, il n’y a pas de conscience. Certes, il ne faut jamais dire jamais. Pour le moment, il semble que c’est le vivant qui a justement besoin d’une représentation symbolique intérieure, d’une perception, d’une émotion, d’une pensée pour, précisément, déterminer son comportement et augmenter ses chances de survie dans une vision darwinienne ; la machine peut faire une série de calculs et nous aider ; à nous, de faire bon usage de ces technologies, clés du paradis comme de l’enfer ; à l’image de la radioactivité utilisée pour cartographier le cerveau ou traiter les cancers, on peut aussi en faire des bombes. Aucune machine ne peut assumer à notre place la prise de responsabilité et la nécessité de reconnecter avec nous-mêmes, nos besoins et les besoins de l’autre et de la nature. Même si, depuis la révolution industrielle, l’homme se met au-dessus, construit les machines, les contrôle, à tel point qu’il a presque détruit sa planète, il est clair qu’on ne contrôle pas tout ; on l’a vu avec la Covid.


Vous avez évoqué le terme « homme » en parlant de sa responsabilité dans le cadre de la révolution industrielle ; est-ce que vous diriez que l’« homme » n’est plus le même aujourd’hui ? Et, dès lors, en tant qu’homme, qu’est-ce qui conduit votre perception a pensé que l’« homme » a changé ? Et, est-ce qu’il est possible de penser que ce terme « vivant » attaché, entre autres à l’homme, relève de la conscience ? Et, en retour, est-ce que la conscience peut être reçue comme une clé herméneutique pour apprécier le « vivant » ?

Je pense au vivant le plus élémentaire : bactérie et à toute forme de vie, connue ou non, dans l’univers dont on ne comprend qu’une fraction. Quel est le rôle de la conscience ? On parle avec difficulté de la « conscience » ; terme qui ne veut presque plus rien dire. Est-ce qu’on parle d’un éveil ? Est-ce qu’on va jusqu’à la métacognition et à cette capacité qui est clairement différente chez l’homme que chez les autres formes de vie ? Oui, c’est important et je suis d’accord avec vous et, pourtant, il y a tous ces autres vivants qui sont dans le même besoin ; cette conscience est, pour moi, le résultat de millions d’années d’évolution pour s’adapter à notre environnement et donc, oui, celle de l’homme est différente de celle du poisson.


Vous avez parlé d’intériorité. Dès lors, ma perception de ce que j’appelle le « vivant » - objet ou sujet de notre discussion -, est-ce, selon vous, de l’ordre d’une intériorité ou d’une extériorité ? Est-ce que « ça » m’est révélé par vous au cours de notre entretien, par la chaise sur laquelle je suis assis ? Qu’est-ce qui m’amène à penser le « vivant » ; sans vouloir parler de la poule et de l’œuf, est-ce la vie ou le vivant qui génère la perception de la conscience ? Dans quel sens un chercheur comme vous peut tenter d’ordonner les choses ?

C’est compliqué parce qu’on a compris, ni l’un, ni l’autre. Certes, nous avons avancé un peu dans la compréhension de la matière ; mais si on discutait avec un physicien, nous verrions que c’est très compliqué de vraiment comprendre de quoi est faite cette matière qui semble nécessaire à la vie, la lumière, les particules, les ondes, et de quoi sont faits les atomes. De même comment cette matière s’organise dans l’être vivant ? Certes, nous avons fait des progrès, à l’image des Nobel, Watson et Crick, avec la découverte de la double hélice de l’ADN, mais il n’est pas possible de réduire la vie. Et pour la conscience, j’ai tendance à dire que la vision actuelle en neurosciences c’est, en effet, qu’il y a la vie et puis la conscience ; mais tant qu’on n’a pas compris la conscience, je pense qu’il faut rester prudent. Pour le moment, c’est une fonction émergente de l’activité cérébrale mais il ne faut pas être dogmatique. Et, certains vont parler, dans le cadre de recherches sur la mort imminente, d’une conscience extraneuronale. Ainsi, en se référant à la théorie de l’information intégrée, la conscience est peut-être une propriété fondamentale de la nature ; peut-être, qu’elle est même universelle. C’est donc extrêmement compliqué. L’œuf et la poule ; il pourrait y avoir une vision que la conscience est nécessaire à la vie. Je pense qu’il faut simplement continuer nos recherches avec un esprit ouvert ; mais, j’aimerais quand même éviter le piège anthropocentrique c’est à dire qu’on regarde tout cela à travers notre petit point de vue biaisé de l’être humain. C’est une erreur qu’on a faite historiquement ; c’est l’homme qui se pose des questions depuis sa chaise confortable sur la conscience, la conscience chez les autres ; il va dire que l’animal n’est pas conscient, que les autres, aborigènes, ne sont pas conscients.


A ce stade, je me permets d’ajouter qu’il reste difficile de savoir si les autres vivants font des « recherches » sur ce que l’homme appelle l’homme.

Ce que nous évoquons n’est qu’une forme de conscience. Je pense que c’est quand même un énorme défi de s’imaginer ce que c’est d’être un dauphin, un oiseau et d’être conscient des erreurs historiques, avec une certaine arrogance de l’homme qui se place au-dessus de tout et donc, il n’y a pas que la conscience de soi, cette métacognition ; je pense que l’émotion pure est importante, elle existe et, que, certes,  il y a l’homme rationnel, l’analytique, mais  il y a aussi la perception pure, la notion pure et le défi -  c’est le cas pour moi personnellement, dans cette trajectoire personnelle de quelqu’un qui a fait des études à la VUB, athée, après une éducation chrétienne, là, dans la cinquantaine - de se poser la question : est-ce qu’il n’y a vraiment que la science - comme le dit le slogan de l’ULB/VUB « Scientia vincere tenebras » - qui a réponse à tout ? Je pense qu’à nouveau c’est le défi d’accepter qu’il y ait plus. Oui, quand je regarde la naissance d’un enfant, de mon enfant, je peux dire que je l’ai comprise d’un point de vue biologique ; mais en fait je n’ai pas compris grand-chose. Je peux juste m’émerveiller devant ce miracle de la vie comme je peux m’émerveiller devant le miracle d’un arc en ciel, même si peux le comprendre, connaitre les lois physiques qui expliquent pourquoi je vois tel ou tel phénomène ; quand je vais regarder les étoiles, à un moment, cela m’échappe et, pour moi, apparait ce côté qu’on peut appeler spirituel - mot quasi tabou pour moi, scientifique - ; il faut, je pense, développer les deux pôles et aussi, dans la discussion sur la conscience, mesurer la difficulté qu’on a à se projeter dans la réalité subjective de l’autre.


Vous avez utilisé la notion d’émergence ; est-ce que vous diriez qu’il y a de la place pour l’émergence d’un « mystère » inattendu ? Au-delà du fait que vous sembliez dire que la science peut expliquer tout ou partie du tout, est-ce que dans votre cheminement, dans vos méditations, il y a place pour que le « mystère » puisse émerger par-delà la conscience ?

Je ne suis pas sûr de bien comprendre. Pour moi, le mystère, bien évidemment. Comme je le dis, en particulier pour la conscience, on ignore ce qu’on ignore ; me concernant, durant mes 25 années de recherche, on a réduit…


Pardon, Steven, je précise mon propos. Est-ce que l’homme que vous êtes, qui s’émerveille devant la naissance des enfants, vous qui pratiquez la méditation et l’encouragez, est-ce que, dans une économie de la recherche qui s’appuie sur une problématisation scientifique, l’expérience proprement personnelle du « vivant » trouve encore sa place ?

Bien sûr que oui. Je pense que la science souffre d’une espèce d’arrogance à penser qu’on peut tout expliquer ou presque alors que ce n’est pas du tout le cas ; comme je le disais, l’origine de la matière, la vie, la conscience, on ne sait pas ce qu’on ne sait pas. C’est ce qui est beau et qui, pour moi, n’est pas non plus reflété dans la manière dont on fonctionne comme chercheur où je dois faire semblant de savoir exactement ce que je recherche et ce que je vais trouver pour avoir des financements alors que la réalité est tout autre ; je cherche et je trouve autre chose. Comme disait Pasteur, dans un esprit hautement préparé, surviennent souvent des découvertes presque accidentelles, à l’image de la pénicilline.

Personne n’avait prévu qu’avec un aimant on pourrait faire des photos du corps, du cerveau et de son fonctionnement. Et, pour ce qui est de l’activité de recherche sur la conscience, je peux avoir les meilleures machines, je ne suis nulle part si je ne m’intéresse pas à ce que cette personne qui est dans la machine est en train de percevoir ou d’avoir comme émotion. Cette neuro-phénoménologie doit être vraiment au centre. Il y a encore beaucoup de travail pour complémenter ce que je vais cartographier avec mes mesures objectives. Le défi est là.


Vous aviez dit, dans une interview que « la science - en Europe - se contente souvent de questions accessoires : dès lors, pour vous, quelle est LA question que, vous, vous posez comme chercheur et qui rejoint peut-être aussi votre quête personnelle ?

Comprendre la conscience. Et donc, évidemment, la méthodologie scientifique est très importante. Il faut qu’on puisse reproduire ce qu’on fait. Par contre, je pense qu’on ne peut pas réduire le métier de chercheur qui doit être, comme on l’a dit, curieux et courageux, à celui qui a juste une hypothèse en tête et qui va faire des manipulations. C’est intéressant dans certains domaines si on veut raffiner telle ou telle connaissance, hypothèse ; dans l’industrie pharmaceutique, on va planifier à l’avance, étape par étape ; et, puis, je pense qu’il y a les grandes découvertes ; d’ailleurs, c’est la même chose pour l’industrie pharmaceutique comme avec la découverte du viagra qui est apparue au cours de recherche pour l’hypertension. C’est très important de permettre la « liberté de chercher » (slogan du FNRS) et de ne pas avoir cette illusion que tout était planifié à l’avance. En Europe, je pense qu’il faut beaucoup plus faire confiance aux chercheurs et les laisser travailler sans exiger qu’ils disent ce qu’ils vont trouver et à quoi ça va servir. On ne sait pas ce qui va surgir ; c’est ce qu’il faut favoriser avec encore plus de chercheurs rebelles qui osent remettre en question les vérités d’aujourd’hui.


Il est maintenant l’heure de la conclusion. Nous avons parlé de vie, de science, de conscience, de vivant. Si je me permets de nous recentrer sur « vivant », en regard de l’homme que vous étiez il y a 25 ans, l’homme que vous êtes, aujourd’hui, porte certainement un regard différent, et, au vu de vos recherches, par-delà l’appréhension classiquement biologique, est-ce qu’un autre vivant peut s’entendre pour les années futures, au vu de la technologie, du rapport aux spiritualités ? Selon une économie renouvelée, avec une approche écologique renforcée, un autre vivant ou une autre perception du vivant peuvent-ils apparaitre ?

Oui. On a dit que vivant, c’est changement. Donc, c’est clair qu’on a difficile à prédire le futur, comme disait Niels Bohr. Et, comme l’optimisme est une obligation morale, je suis optimiste, et réaliste, notre vie ne disposera pas d’une terre éternellement ; rien n’est infini. L’homme a difficile à trouver quelque chose qui soit vraiment infini. Notre espèce humaine, notre vie, ne sont pas infinies. On ne sait pas si on va pouvoir préserver notre planète encore longtemps.


Est-ce que vos recherches sont de l’ordre d’une « résurrection du vivant » ? Vous venez d’évoquer que rien n’est infini et, en même temps, vous travaillez quand même pour faciliter nos vies à tous, quelles que soient les formes. Est-ce que vos recherches sont de cet ordre-là sans vouloir, pour autant, évoquer le transhumanisme ? Est-ce qu’en vous, dans les univers qui sont les vôtres, dans la création d’un laboratoire, il y a le désir fondamental, fondateur, d’amener davantage de vivant ou un déploiement renouvelé de vivant ?

Pour la question relative à la « résurrection du vivant », à titre personnel, je n’ai pas de problème à accepter que nous ne sommes que poussière dans l’univers ; il y avait beaucoup de choses avant notre petite vie personnelle. J’accepte évidemment qu’être vivant implique qu’il y a un début et qu’il y a une fin. Après, il appartient à chacun de donner un sens à la vie, à une éventuelle vie après la mort. Et, donc, relativement au transhumanisme évoqué, je constate que beaucoup ont du mal à accepter que nous sommes mortels. Ainsi, de tous les temps, la recherche de l’élixir de vie ; dans mon domaine, on tente la cryoconservation - qui n’est pas possible pour le moment -, ou la transplantation de sa conscience sur un ordinateur, ce n’est pas non plus possible, la transplantation de cerveaux, ce n’est pas possible. Donc, à travers mon métier, je cherche à voir comment la vie se termine et à en discuter avec les personnes concernées. Je suis heureux de la vie vécue pleinement, avec amour - dont nous n’avons pas parlé – ; amour qui est difficile à réduire à l’une ou l’autre équation mathématique, donc il faut le vivre. Je suis convaincu de cette complémentarité, entre autres dans mes recherches, j’essaie de construire un pont, entre le rationnel et la perception, l’émotion, que ce soit en médecine avec les médicaments que je prescris et les interventions, et, en même temps, dans le fait de donner un rôle plus actif à chaque patient afin d’exploiter au mieux ce pouvoir de l’esprit et cette énorme différence entre la connaissance – je peux lire un livre sur la méditation, sur la manière de courir un marathon – et le fait de faire de la méditation ou de courir 42 km, c’est clair que c’est autre chose. Agir humblement avec grande curiosité et humour. Faire son travail avec sérieux mais, après, ne pas se prendre trop au sérieux.


Amour et humour. Pour la dernière proposition, au sujet du « vivant », comme un jeu de conclusion/inclusion, si vous aviez une question à poser à Steven, quelle serait-elle ?

Est-ce que tu vis bien ? Est-ce que tu essaies d’être la meilleure version de toi-même ?

C’est ça le défi, je pense, de pouvoir trouver ses talents et de les exploiter avec bienveillance. Est-ce que tu vis bien ? Est-ce que tu es vraiment le meilleur partenaire que tu puisses être, le meilleur parent, le meilleur directeur de thèses, professeur, soignant, médecin ? Est-ce que tu es à l’écoute ? Est-ce que tu fais vraiment ce que tu dis de faire aux autres ?

Et, merci pour toutes vos questions provocantes qui m’ont obligé à gratter ma matière grise.




 

Le neurologue Steven Laureys, directeur de recherches FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique), auteur (Un si brillant cerveau, La méditation c'est bon pour le cerveau, Le sommeil, c'est bon pour le cerveau et Cerveaugraphie) et conférencier est reconnu internationalement pour son étude scientifique du cerveau et de la conscience.

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