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Vincent Commenne : Migrant, et heureux de l'être



Jusqu'à mes 30 ans, je paraissais tout sauf quelqu'un qui allait entrer en migration. Né dans un milieu privilégié sur le plan matériel, universitaire, analyste financier surpayé dans une multinationale de pointe, j'étais perçu comme une de ces personnes ayant reçu à la naissance tous les cadeaux et dont la destinée était de les faire fructifier pour s'assurer une vie confortable et enviable. C'était un choix que j'aurais pu faire. C'est un choix que pas mal de mes amis de l'époque ont fait...


Ma chance fut que, graduellement, je me suis mis à l'écoute d'une sorte de voix intérieure, probablement la voix de ma conscience qui, lorsqu'elle trouvait un peu d'espace au milieu de toutes mes activités professionnelles et sociales, me demandait : « Vincent, comment tu vas ? », une question toute simple et patiemment répétée encore et encore...


Et c'est vrai que, si je me mettais réellement à l'écoute de mon for intérieur, il y avait une tension sourde et permanente en moi. En fait, je n'allais pas bien. Je n'allais pas bien avec cette vie basée sur des valeurs qui ne me correspondaient pas au plus profond, je n’allais pas bien avec des relations nombreuses certes, mais superficielles, je n'allais pas bien derrière ces masques que nous portions tous la plupart du temps, je n’allais pas bien dans une existence qui me semblait ne pas avoir de sens véritable. Je vivais en fait dans un malaise permanent.


Je crois d'ailleurs que nous sommes très nombreux comme ça, les gens qui essayent de composer avec "le système", qui en profitent, qui le font fonctionner mais qui y sont aussi mal à l’aise, voire même dans un profond mal-être, tout en prétendant y être bien.

Ceci posé, dans les lignes qui suivent, je vais témoigner des transitions qui furent les miennes ; je n'y soutiens pas qu'elles devraient être adoptées par d'autres.


Il me fallut encore quelques années avant que, poussé par cette tension interne, j'entreprenne ma première migration. Ce fut un mouvement qui m'a amené vers l'intérieur de moi, là où se trouvent nos méandres et nos ombres, là où se cachent nos peurs, là où sont emmurées nos colères énormes et nos tristesses insondables (c'est en tous cas comme cela que l'enfant que j'avais été les avait ressenties). Je pense que ce voyage vers nous-mêmes, nous ne pouvons le faire qu'accompagnés par quelqu'un formé pour cela. Je choisis donc un psychothérapeute gestaltiste renommé de l'époque et j'optai pour une thérapie de groupe, un espace sécurisé par le thérapeute où l'objectif partagé par la dizaine de personnes est d'aller à la rencontre des parties de soi que, d'habitude, nous refoulons. Dans ce lieu privilégié, je me suis enfin ouvert à moi-même. Et cela a changé ma vie. Mais ce qui se produisit en outre, c'est que m'ouvrir à ma propre souffrance m'a ouvert à la souffrance du monde. M'ouvrir à ma sensibilité va me rendre sensible à l'autre, m'ouvrir à ma vulnérabilité va me faire ressentir la vulnérabilité des autres et du monde. Cela aussi va bouleverser mon existence.


Car très vite, ensuite, j'ai ressenti le besoin de m'impliquer dans ces enjeux : les déséquilibres du monde qui apportaient de la souffrance (et parfois la mort) à des gens qui m'étaient inconnus. Et en premier, ne plus oeuvrer au sein d'un appareil qui contribuait à ces déséquilibres. C'est là qu'a commencé ma deuxième migration, professionnelle celle-là. J'ai très vite quitté la multinationale qui m'employait pour travailler dans le monde associatif, dans le monde des ONG œuvrant sur des causes sociales ou environnementales. Et de manière naturelle, s'est petit à petit installée une troisième migration, celle qui allait m'éloigner de mon milieu social et culturel d'origine : j'ai naturellement pris distance des clubs élégants où j'excellais au tennis ou au bridge, j'ai pris distance de mes relations sociales de l’époque qui, pour la plupart, avaient du mal à comprendre les choix de vie que j'avais posés : comment pouvait-on délibérément saborder tous les acquis matériels que l'on avait eu la chance de construire, se demandaient-ils incrédules...


Et c'est vrai, j'ai migré du statut de quelqu'un qui occupait une position enviée pour tirer bénéfice du système tel que nous l'avons construit en Occident vers celui de quelqu'un qui mettait toute sa créativité à essayer de faire évoluer ce monde, et faisait dès lors le choix de l'aventure : quitter ce que je connaissais, abandonner ce qui me nourrissait tant sur le plan financier que sur celui peut-être plus important de l'image, du prestige personnel, de l'estime de moi que je pouvais précédemment construire à partir de cette place de réussite professionnelle et matérielle... Me séparer de cela sans savoir où j'allais.


Ensuite, c'est un peu comme si la vie vous récompense d'avoir pris des risques pour elle. Après quelques années au cours desquelles il m'a fallu garder confiance dans mes intuitions, les "pays" où je suis arrivé se sont révélés être des Eldorados au sens de mes valeurs essentielles, de la qualité des relations que j'ai pu y vivre, du sentiment profond d'avoir donné sens à ma vie.


En Belgique, ce n'est pas la guerre ou la famine qui nous menacent. Mais j'ai expérimenté que le manque de sens peut aussi nous éteindre...




 

Vincent Commenne est économiste et a suivi une formation en Psychologie Humaniste. Depuis plus de trente ans, il se passionne pour les questions éthiques reliées à l'économie et à la finance. Il a piloté différentes structures locales puis internationales destinées à promouvoir l'éthique dans ces secteurs. Parallèlement à son action professionnelle engagée et depuis une trentaine d'années également, il a eu l'occasion de fouler différents chemins de transformation intérieure. Il est l'initiateur du mouvement "Créatifs Culturels en Belgique" qui cherche à favoriser l'émergence d'une société plus responsable, inclusive, durable et porteuse de sens.

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